"Genre et séries animées françaises : normativités, phénomènes de reprise et nouvelles représentations"
Mélanie Lallet, Doctorante Contractuelle en SIC, Université Sorbonne Nouvelle, Laboratoire CIM, équipe MCPN
Depuis les travaux pionniers de Dominique Pasquier sur la série Hélène et les garçons (Pasquier, 1997), l'analyse des séries au prisme des représentations de genre a suscité un intérêt croissant de la part des chercheurs. Les séries animées, en revanche, sont encore loin de bénéficier du même engouement que les séries en prise de vue réelle. Jugées illégitimes par la plupart des spécialistes de l'animation en France (Laloux, 1996 ou Génin, 2003) – qui privilégient souvent les aspects esthétiques des œuvres [1] – elles n'ont pas fait l'objet de véritables traditions de recherche. Propulsées régulièrement au centre d'un débat sur les dangers de la télévision et la vulnérabilité des plus jeunes, elles n'ont pas non plus été envisagées à l'aune d'une perspective "genre", contrairement aux autres productions culturelles tournées vers l'enfance comme la littérature de jeunesse (Cromer, Dauphin, Naudier, 2010 ou Octobre, 2011).
Au croisement des Gender et Cultural Studies [2], et d’une Sociologie de l'enfance qui s’ancre dans une ferme reconnaissance de la capacité d’agir des plus jeunes (agency) [3], ce projet de recherche a pour objectif d'envisager les représentations de genre présentes dans les séries animées françaises comme un nouveau point d’accès à ces oeuvres. Diffusés au petit écran et destinés à des publics enfants qui font l'objet d'une surveillance particulière, les dessins animés sont riches en modèles normatifs, et souvent révélateurs des inégalités qui persistent dans la société (Macé, 2006) [4]. Maintes fois reprogrammés et sujets à des phénomènes de reprise ou d'adaptation, ils permettent également de repérer des évolutions dans les représentations genrées, caractérisées par un jeu de tension entre conformisme et innovation, ainsi que des effets de retour en arrière (backlash).
À travers différents exemples, des premières aventures de Tintin en semi-animation, en passant par Bonne nuit les petits, Petit Ours Brun, les célèbres séries Il était une fois… (l’Homme, la Vie, les Explorateurs etc.), jusqu’aux productions plus contemporaines, nous verrons que ces programmes ont souvent relayé une construction différentialiste du genre, caractérisée par la subalternité du féminin et son assignation à certains rôles (notamment une relégation dans l'espace domestique ainsi qu'un tropisme vers les fonctions d'assistance et de soin). À l'inverse, ils ont parfois démontré leur potentiel subversif, de part la place qu'ils allouent au rêve d'un monde meilleur et à l'imaginaire [5].
Accompagnant les transformations de notre société, certaines séries animées ont mis en scène de nouvelles façons de faire famille et ont remis en cause les oppositions classiques, par exemple à travers un ton militant, un humour transgressif ou un usage créatif de l'anthropomorphisme. Malgré les ambivalences qui persistent, on trouve aujourd'hui aux côtés de modèles plus traditionnels [6] des personnages qui bousculent toute la chaîne sexe-genre-désir (Candy, dans Les Zinzins de l’espace), d’autres qui prennent position en faveur des combats féministes (Maestro et Psi, dans Il était une fois… notre Terre), et de plus en plus d’héroïnes indépendantes et combatives (par exemple Betty ou Rosie dans la tranche « Girl Power » de la chaîne Gulli).
[1] À l'image de la manière dont se sont structurées les études cinématographiques dans leur ensemble. Voir Burch et
Sellier (2009).
[2] Dans la continuité des travaux féministes déconstructivistes. Voir par exemple Riley 1988 ; Butler, 2005 ou de
Lauretis, 2007.
[3] Voir par exemple Chombart de Lauwe et Bellan, 1979 ; Chalvon, Corset et Souchon, 1991 ; Buckingham, 1993 ;
James, Jenks et Prout, 1998 ; ou Octobre et Sirota, 2013.
[4] À l'image des autres productions télévisuelles.
[5] Pour l’animation dans son ensemble, voir par exemple Wells, 1998 ; Clarke, 2004 ou Halberstam, 2010.
[6] En 2012 par exemple, une série d'animation en 3D fondée sur le personnage de Martine (créé en 1954) est diffusée
dans l'émission
Mélanie Lallet, Doctorante Contractuelle en SIC, Université Sorbonne Nouvelle, Laboratoire CIM, équipe MCPN
Depuis les travaux pionniers de Dominique Pasquier sur la série Hélène et les garçons (Pasquier, 1997), l'analyse des séries au prisme des représentations de genre a suscité un intérêt croissant de la part des chercheurs. Les séries animées, en revanche, sont encore loin de bénéficier du même engouement que les séries en prise de vue réelle. Jugées illégitimes par la plupart des spécialistes de l'animation en France (Laloux, 1996 ou Génin, 2003) – qui privilégient souvent les aspects esthétiques des œuvres [1] – elles n'ont pas fait l'objet de véritables traditions de recherche. Propulsées régulièrement au centre d'un débat sur les dangers de la télévision et la vulnérabilité des plus jeunes, elles n'ont pas non plus été envisagées à l'aune d'une perspective "genre", contrairement aux autres productions culturelles tournées vers l'enfance comme la littérature de jeunesse (Cromer, Dauphin, Naudier, 2010 ou Octobre, 2011).
Au croisement des Gender et Cultural Studies [2], et d’une Sociologie de l'enfance qui s’ancre dans une ferme reconnaissance de la capacité d’agir des plus jeunes (agency) [3], ce projet de recherche a pour objectif d'envisager les représentations de genre présentes dans les séries animées françaises comme un nouveau point d’accès à ces oeuvres. Diffusés au petit écran et destinés à des publics enfants qui font l'objet d'une surveillance particulière, les dessins animés sont riches en modèles normatifs, et souvent révélateurs des inégalités qui persistent dans la société (Macé, 2006) [4]. Maintes fois reprogrammés et sujets à des phénomènes de reprise ou d'adaptation, ils permettent également de repérer des évolutions dans les représentations genrées, caractérisées par un jeu de tension entre conformisme et innovation, ainsi que des effets de retour en arrière (backlash).
À travers différents exemples, des premières aventures de Tintin en semi-animation, en passant par Bonne nuit les petits, Petit Ours Brun, les célèbres séries Il était une fois… (l’Homme, la Vie, les Explorateurs etc.), jusqu’aux productions plus contemporaines, nous verrons que ces programmes ont souvent relayé une construction différentialiste du genre, caractérisée par la subalternité du féminin et son assignation à certains rôles (notamment une relégation dans l'espace domestique ainsi qu'un tropisme vers les fonctions d'assistance et de soin). À l'inverse, ils ont parfois démontré leur potentiel subversif, de part la place qu'ils allouent au rêve d'un monde meilleur et à l'imaginaire [5].
Accompagnant les transformations de notre société, certaines séries animées ont mis en scène de nouvelles façons de faire famille et ont remis en cause les oppositions classiques, par exemple à travers un ton militant, un humour transgressif ou un usage créatif de l'anthropomorphisme. Malgré les ambivalences qui persistent, on trouve aujourd'hui aux côtés de modèles plus traditionnels [6] des personnages qui bousculent toute la chaîne sexe-genre-désir (Candy, dans Les Zinzins de l’espace), d’autres qui prennent position en faveur des combats féministes (Maestro et Psi, dans Il était une fois… notre Terre), et de plus en plus d’héroïnes indépendantes et combatives (par exemple Betty ou Rosie dans la tranche « Girl Power » de la chaîne Gulli).
[1] À l'image de la manière dont se sont structurées les études cinématographiques dans leur ensemble. Voir Burch et
Sellier (2009).
[2] Dans la continuité des travaux féministes déconstructivistes. Voir par exemple Riley 1988 ; Butler, 2005 ou de
Lauretis, 2007.
[3] Voir par exemple Chombart de Lauwe et Bellan, 1979 ; Chalvon, Corset et Souchon, 1991 ; Buckingham, 1993 ;
James, Jenks et Prout, 1998 ; ou Octobre et Sirota, 2013.
[4] À l'image des autres productions télévisuelles.
[5] Pour l’animation dans son ensemble, voir par exemple Wells, 1998 ; Clarke, 2004 ou Halberstam, 2010.
[6] En 2012 par exemple, une série d'animation en 3D fondée sur le personnage de Martine (créé en 1954) est diffusée
dans l'émission